L’impôt sur les successions: une fausse bonne idée

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Sous ce titre l'Institut Libéral vient de publier un ouvrage collectif sous la direction de Pierre Bessard, son directeur général, et de Victoria Curzon Price, présidente de son comité.

Certes ce livre est publié dans le contexte suisse, mais, au-delà de ce contexte, il a une portée générale.

Le contexte? On assiste, pour la quatrième fois dans l'histoire helvétique, à une tentative de créer un impôt fédéral sur les successions. Après les tentatives de 1919, de 1946 et de 2003, une initiative populaire fédérale a abouti le 15 février 2013 avec pour objet d'"imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS", c'est-à-dire financer le premier pilier de retraite suisse (par répartition). Il devrait donc y avoir prochainement une votation sur cet objet.

Il faut savoir qu'en Suisse, dans la plupart des cantons, il n'y a plus, ou presque, de droits de succession à payer pour le conjoint survivant et pour les descendants en ligne directe (cette disparition s'est faite, dans la plupart des cas, par le biais d'initiatives populaires, contre la volonté des gouvernements...).

"L'impôt sur les successions et les donations en Suisse représente l'une des dernières libertés cantonales absolues en matière de politique fiscale" remarquent Christoph Schaltegger et Andrea Opel. C'est une application du principe de subsidiarité qui figure dans la Constitution fédérale et qui est à l'origine de la bénéfique concurrence fiscale entre cantons.

Il ne faut pas croire pour autant que la Suisse soit un paradis fiscal, même si, en comparaison avec les enfers fiscaux européens bien connus, les Suisses sont mieux lotis, même si quelques milliers de riches étrangers y bénéficient d'un forfait fiscal, même si quelques cantons pratiquent des taux d'imposition avantageux...

En effet, en Suisse, les revenus et la fortune sont imposés de manière fortement progressive et, finalement, même les droits de successions s'avèrent élevés en comparaison internationale, parce que l'imposition des héritages n'y souffre pas d'autant d'exceptions que dans d'autres pays:

"Les impôts cantonaux sur les successions [...] génèrent 950 millions de francs par an, soit environ 0,2 pour cent du produit intérieur brut et 0,8 pour cent de la totalité des recettes fiscales. En revanche, l'impôt sur les successions centralisé et élevé qui prévaut en Allemagne et qui impose les héritages en ligne directe à un taux de 30 pour cent et les héritiers sans degré de parenté à un taux de 50 pour cent, ne génère que 4 milliards d'euro par an, ce qui ne représente que 0,16 pour cent du produit intérieur brut allemand.", contaste ainsi Reiner Eichenberger.

La portée générale? Dans son prologue, Pierre Bessard répond à un certain nombre d'arguments des partisans de l'imposition des successions.

La succession, un revenu ou un bénéfice exonéré?

"Cet argument, de toute évidence, est fallacieux, du moment où la succession est formée de capital déjà imposé au titre de revenu et de fortune préalablement."

Les successions, pas "méritées" par leurs bénéficiaires?

"L'Etat et sa clientèle n'ont en tout état de cause pas davantage "mérité" les successions que leurs propriétaires. D'autant moins que ce capital a déjà été imposé et que son usage par les héritiers est également assujetti à l'impôt."

Les successions, dilapidées par leurs bénéficiaires?

"Le capital financier et matériel est souvent accompagné de capital moral. Dans une société libre, l'institution de l'héritage est aussi une institution de transfert de savoir et de valeurs: la propriété est étroitement liée à la responsabilité, que l'héritier se fait un point d'honneur d'assumer, ne serait-ce que par respect pour le testateur."

Et si ce n'est pas le cas, les fonds ne seront pas perdus. Ils prendront tout bonnement un autre cours dans le circuit économique...

En fait deux conceptions s'opposent: ceux qui considèrent que les fortunes accumulées par les individus sont à la libre disposition de la collectivité et qu'elle peut donc les redistribuer à sa guise; ceux qui considèrent, au contraire, qu'elles découlent des efforts de ces mêmes individus sur de nombreuses années et que c'est à eux d'en disposer comme ils l'entendent.

La première conception s'apparente au vol légalisé, destiné à réduire la concentration des fortunes, sous le fallacieux prétexte d'égalité des chances (qui, en l'absence de privilèges, existe en fait avec l'égalité devant le droit):

"L'égalitarisme matériel conduit immanquablement à moins de prospérité et à davantage d'exclusion sociale."

La deuxième conception est conforme au respect des droits de propriété et à la liberté économique (qui sont garantis par la Constitution fédérale suisse). Elle préserve l'épargne privée, "fondement de la croissance économique et de l'innovation":

"C'est l'économie de marché, et non l'Etat social, qui a éradiqué la pauvreté absolue dans les économies libérales."

Pierre Bessard a donc raison de dire, tant du point de vue de la moralité que de l'efficacité:

"La liberté décisionnelle de l'individu sur son propre capital, dérivée du droit de propriété, plaide contre toute disposition contraignante à cet égard et en faveur de l'égalité devant le droit, c'est-à-dire idéalement l'exonération fiscale du transfert de fortune pour tous les héritiers et la liberté de choix intégrale du testateur."

Peter Ruch, qui est pasteur évangélique, observe:

"Les réserves bibliques envers la richesse sans autre but que la richesse elle-même restent valides - mais comme appel à l'individu, pas comme principe d'action de l'Etat."

Dans son épilogue, Victoria Curzon Price pose les termes de l'alternative:

"Ou l'on choisit la redistribution de richesses et on crée la pauvreté. Ou l'on choisit la création de richesses et on vit avec les inégalités qu'elle implique, mais également avec le dynamisme économique qui lui est propre."

Et elle conclut que, lorsque l'on choisit la première branche de cette alternative, "les effets néfastes prennent du temps à se manifester":

"Pendant un long moment, les innovateurs continuent d'innover, les familles continuent d'épargner, les entrepreneurs continuent d'investir. Ils ne peuvent pas imaginer que l'Etat soit aussi bête de vraiment les déposséder. La politique de redistribution des richesses ne paraît avoir aucun coût sur le plan de la croissance. Mais, quand, un jour, le capital familial aura bel et bien disparu, alors la croissance s'en ira pour de bon. Essayez alors de le faire revenir, ce capital! Vous verrez que c'est très difficile... L'Etat aura tué la poule aux oeufs d'or."

On dirait à lire la fable éponyme que son auteur est de ce temps, lui qui conclut:

"Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus

Qui du soir au matin sont pauvres devenus

Pour vouloir trop tôt être riches?"

En dépouillant ceux qui le sont...

Francis Richard, 5 août 2014

L'impôt sur les successions - Une fausse bonne idée, Pierre Bessard et Victoria Curzon Price, 116 pages, Institut Libéral

Pour commander ce livre, cliquez ici

Source: Le Blog de Francis Richard

 

2 commentaires

  1. Posté par Lafayette le

    Et comme le dit si bien le PS, pour devenir riche, il n’y a plus qu’à se faire pistonner dans un poste bien payé.

  2. Posté par Anne Lauwaert le

    Mais il y a plus ! Il faut revoir les lois sur les successions car les familles ont changé. Dans le passé les grands-parents transmettaient aux enfants qui transmettaient aux petits-enfants et tout le monde travaillait et épargnait dans le but commun de la famille.
    Aujourd’hui avec les divorces et surtout les remariages mais aussi les enfants hors mariage, le capital épargné n’est plus transmis mais éparpillé. C’est un phénomène nouveau car les acteurs de ce nouveau mode de vie commencent à arriver à l’âge du décès et les problèmes de ces successions commencent à apparaitre. Un notaire belge m’a expliqué qu’il faisait face à des situations inextricable et que l’Ordre demande une révision des lois car… on n’en sort plus.
    Une des conséquences des remariages c’est que les biens que les grands parents destinaient à leurs petits enfants finissent auprès de personnes complètement étrangères avec qui ils n’ont aucun lien et donc leurs petits enfants sont spoliés.
    Il est tout à fait injuste que ce soit la loi à décider à qui iront les biens épargnés. Il faut donc changer les lois sur la transmission des biens pour que chacun puisse décider comment et à qui transmettre le fruit d’une vie de travail et d’épargne.
    Si cela ne se fait pas, les gens conscients des effets des lois actuelles devront recourir à des stratagèmes pour sauvegarder les biens qu’ils ont eux-mêmes gagnés ou sauvegardés.
    Si on veut s’opposer à « la création de richesse » il n’y a plus aucune raison d’étudier, travailler, épargner.

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