Le Populisme, Editorial, Roger Koeppel, Die Weltwoche, 7.4.2017

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Éditorial

Populisme

Réflexions sur un concept polémique.

De Roger Köppel

 

Le week-end dernier, j'ai eu l'honneur de participer à une table ronde sur le «populisme» au Burgtheater de Vienne. La grande salle était pleine à craquer. Cela ne tenait pas à ma personne, mais à la participation du chancelier social-démocrate autrichien, Christian Kern.

L'ancien président des Chemins de fer se voit actuellement qualifié de populiste parce que son gouvernement prend un certain nombre de mesures controversées: renforcement des contrôles des frontières, plafonnement du nombre de réfugiés, interdiction de la burqa, restrictions de la libre circulation des personnes. Est-ce toujours social-démocrate? Ou déjà populiste? Ou tout simplement raisonnable? Les débats vont bon train.

D'emblée, je ne fais pas grand cas du concept de populisme.

J'ai parfois utilisé le terme «populisme» dans son sens premier qui correspond à une sorte d'opportunisme politique qui exagère, dramatise, fait acte de démagogie, comme le définit le dictionnaire Duden. Les populistes sont des vendeurs de poudre de perlimpinpin politique, des girouettes qui disent toujours ce que leur public respectif veut entendre. Quand ils s'adressent à des gens de gauche, leur discours est de gauche. Quand ils s'adressent à des gens de droite, leur discours est de droite.

«Populiste» a toujours pour moi comporté un facteur de calcul cynique. Le populiste sait que ses promesses ne sont pas tenables. Mais il en fait malgré tout pour plaire et parvenir au pouvoir. Le pays ou le peuple n'ont pas d'importance pour lui, il en va de sa carrière pour laquelle il est prêt à mentir et à tromper. Le populisme n'est pas la clé du succès en politique. On peut duper les gens pendant un certain temps, mais ils finissent par s'en apercevoir.

Or aujourd'hui, le «populisme» est avant tout un concept polémique, une arme absolue pour combattre des opinions et des personnes indésirables avec lesquelles on ne veut pas discuter. Cela ne date pas d'hier. Autrefois, on les appelait des «compagnons sans-patrie», puis «communistes», «cheveux longs», «Moscou, tout simplement». Aujourd'hui, on dit «populistes», ce qui sous-entend de potentiels idiots, nationalistes, racistes. Qui dit «populiste» veut exclure pour ne pas aborder le sujet. Qui crie «populiste» veut mettre un terme à la discussion. Or, discuter est le fondement de la démocratie.

En Suisse, c'est un peu mieux. La démocratie directe impose le débat. Bien sûr, ici aussi on brandit la menace du populisme, mais il faudrait peut-être changer de disque. Insulter les politiciens revient toujours à insulter les électeurs. Ce n'est pas bien vu. En Suisse, on n'exclut pas les «populistes», on réfute leurs arguments. Ou bien on reprend leurs revendications dans la mesure où elles sont raisonnables et justifiées.

Bien sûr, il y a des politiciens blâmables qui défendent des vues légitimes. Je suis, par exemple, contre le Front national en France, un parti nationaliste au discours social avec une politique économique dévastatrice, dont la revendication peut se résumer à «Plus d'État providence pour les Français; dehors, les étrangers!». En même temps, je partage certains des diagnostics de Marine Le Pen concernant l'UE et la libre circulation des personnes. Dois-je rejeter des analyses pertinentes uniquement parce qu'elles viennent d'une femme politique dont le parti me répugne? Ce serait pour ainsi dire du racisme intellectuel. Et surtout, insensé.

On doit cette phrase intelligente à Michael Ignatieff, écrivain et homme politique libéral de gauche canadien: «Il ne faut pas juger de la qualité d'une idée au vu du milieu dans lequel elle nous fait pénétrer, mais uniquement pour la qualité de l'idée». C'est vrai, le message est plus important que l'expéditeur.

Les «populistes» sont-ils dangereux? Deux constatations à ce propos. Tout d'abord, nous ne savons pas ce qui se passerait si des partis dits populistes avaient la majorité dans un pays de l'UE. Toutefois, le risque semble faible parce que nous avons des démocraties dans une certaine mesure ouvertes, pluralistes. D'autre part, déclarer taboues les préoccupations des «populistes» quand elles sont partagées par de nombreux citoyens est plus dangereux que ceux-ci, car la marginalisation produit de la radicalisation. Ce n'est pas un hasard si les centres d'asile brûlent précisément en Allemagne, alors que jusqu'à récemment toute personne critiquant la politique d'asile était diabolisée, qualifiée d'extrémiste et de nazie.

Objection! Il y a des gens comme Höcke, ce membre de l'AfD peu raffiné, qui n'arrête pas de semer le trouble avec ses discours scandaleux sur les nazis et «l'Allemagne millénaire». Ne nous emballons pas! Le provocateur Höcke fricote peut-être parfois avec les milieux nazis, mais il n'y a personne en Allemagne, et certainement pas de groupe important, qui veuille sérieusement revenir à l'époque hitlérienne. Les cœurs et les suffrages des Allemands ne se laisseront pas conquérir par des slogans nazis. Höcke est un pseudo-risque monté en épingle par les médias pour dénoncer une AfD indésirable.

Le «populisme» depuis Trump est-il en perte de vitesse comme Die Zeit s'en réjouissait? En tout cas, la marginalisation n'a pas fonctionné. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a copié durant la campagne électorale Geert Wilders presque jusqu'aux cheveux. La chancelière Angela Merkel a complètement reviré à droite en matière de politique des réfugiés. Le chef du gouvernement socialiste autrichien, Kern, met en œuvre sans rougir les désidératas de l'opposition FPÖ, dirigée par son président carriériste Strache.

Je ne serais pas surpris si les «populistes» européens restaient sur la touche. Le Pen ne deviendra pas présidente en France et l'habile manœuvrière Merkel remportera de nouveau les élections. Selon toute probabilité. Pas de changement majeur. Mais à la marge. C'est aussi grâce aux méchants «populistes» que les gouvernements européens se sont de nouveau rapprochés de quelques millimètres de leurs électeurs. C'est une bonne chose. On peut appeler cela populisme. Ou bien capacité d'apprentissage.

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3 commentaires

  1. Posté par Fleeps le

    Ah mais moi je sais ce qu’est le populisme……c’est entendre les revendications populaires….en faire un programme politique…..accéder au pouvoir….et fermer ça gueule

  2. Posté par TulliaCiceronis le

    J’ai du mal à comprendre les subtitlités de ce papier et à saisir son message implicite. Une chose en revanche est claire : M. Koeppel confond les notions de populisme, de démagogie et d’opportunisme. Heureusement, il existe quelques écrits éclairants, anciens et nouveaux, sur ce populisme tant honni.

  3. Posté par UnOurs le

    Tout cela est trop subtil, trop « raffiné ».
    Réfléchissez-y bien à l’UDC, votre base est identitaire et sociale et risque bien d’aller à la pêche aux prochaines élections fédérales. A quoi bon, en effet, d’élire des « libéraux-bis » ?

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