Qatar & Syrie – Pourquoi la coalition occidentale frappe l’armée syrienne

Michel Garroté
Politologue, blogueur

    
Michel Garroté  --  Avant d'entrer dans le vif du sujet, rappelons que deux attaques simultanées ont eu lieu à Téhéran, en Iran, le mercredi 7 juin 2017, causant la mort d'au moins trois personnes. Les auteurs de l'attaque étaient des Iraniens, recrutés par l'EI. Une fusillade a éclaté à l'intérieur du Parlement avant qu'un homme s'y fasse exploser, tandis qu'un autre attentat-suicide a eu lieu au mausolée de l'imam Khomeiny, père fondateur de la République islamique d'Iran. Les deux bâtiments sont distants d'une vingtaine de kilomètres. Le groupe État islamique a revendiqué les deux attaques.
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Le Qatar et l'Iran :
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Rappelons que pour les Iraniens, les ennemis du régime chiite de Téhéran, ce sont les Américains, les Israéliens, les pétromonarchies sunnites du Golfe ainsi que les 70 groupes terroristes takfiri d’inspiration wahhabite qui sévissent sur la planète.
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Et toujours avant d'entrer dans le vif du sujet, notons que le Qatar tente de mettre au point une coordination avec l'Iran en Syrie, ce qui explique en partie la crise dans les relations, entre d'une part Doha, et, d'autre part, Riyad et ses alliés sunnites du Golfe. Pour Doha, il s'agit de réduire la tension, en Syrie, entre les groupes armés supervisés par le Qatar, et, les militaires et volontaires iraniens.
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Le Qatar et la Turquie :
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Allié du Qatar, le président-dictateur islamiste turc Erdogan a pris fait et cause pour l’émirat gazier, mis au ban par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et leurs alliés arabes, qui l’accusent de complaisance envers des groupes islamistes radicaux et envers l’Iran. Le mercredi 7 juin 2017, le Parlement turc a approuvé le déploiement de troupes sur une base au Qatar.
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Signé en 2014, l’accord pour l’établissement d’une base militaire turque et pour l’entraînement et la formation des soldats qataris a ainsi été mis sur les rails plus tôt que prévu. Le nombre de soldats turcs présents sur place est pour l’instant d'environ 600 hommes.
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L'émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani :
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Vu sous tous ces aspects, la publication des propos positifs -- de l'émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani concernant l'Iran -- pourraient ne pas relever du hasard. L'aspiration du Qatar à établir une coopération avec l'Iran, y compris en Syrie, distingue la monarchie sunnite qatarie des autres monarchies sunnites du Golfe. Et cela ne change rien au fait que le Qatar et l'Arabie saoudite soutiennent effectivement, tous les deux, le terrorisme.
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Le Qatar et la Syrie :
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Pour entrer (enfin) dans le vif du sujet, il faut rappeler que la coalition dite internationale (en réalité pro-islamique), qui officiellement frappe l'Etat Islamique (EI), frappe également les forces pro-régime, alors que celles-ci commencent à l'emporter contre l'EI. Compliqué, pas vrai ? En effet, des combattants soutenus par Washington gagnent du terrain à Raqqa, ville syrienne habitée aujourd'hui à 99% par des Arabes sunnites et à 1% de Kurdes.
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La bataille de Raqqa :
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On peut même lire, dans la presse politiquement correcte, que la bataille fait rage à Raqqa ; que les forces arabo-kurdes syriennes soutenues au sol et dans les airs par les États-Unis tentent de progresser, depuis le jeudi 8 juin 2017, vers le centre de cette ville syrienne, au prix de violents combats dans le principal fief du groupe jihadiste État islamique (EI) en Syrie ; qu'au moins 17 civils ont perdu la vie dans des raids de la coalition ; et que le bilan de les frappes, menées dans la nuit du jeudi 8 juin au vendredi 9 juin 2017, pourrait encore s'alourdir, car des dizaines de personnes ont été blessées. Voilà pour la presse politiquement correcte.
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Sept mois après le début d'une offensive d'envergure qui leur a permis de s'emparer de vastes régions autour de Raqqa (nord), les Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les Etats-Unis sont entrées dans le quartier de Mechleb, dans l'est de la ville. L'opération des FDS, baptisée "Bouclier de l'Euphrate", a consisté en la prise du quartier de Mechleb et de la citadelle de Harqal, située à deux kilomètres à l'extérieur des limites de Raqqa, sur une colline dominant la périphérie ouest.
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Les FDS :
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Formées en 2015, les FDS, théoriquement une alliance de combattants kurdes et arabes, opèrent avec l'appui de la coalition internationale qui leur fournit des armes, un appui aérien et les assiste au sol avec des "conseillers militaires". La présence de Kurdes au sein des FDS ne joue en réalité qu'un rôle peu important pour la cause kurde syrienne dans la mesure où Raqqa est actuellement habitée, comme déjà mentionné, à 99% par des Arabes sunnites.
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Les FDS ressemblent à une ramification du Front al-Nosra et autres organisations terroristes. Leur offensive à Raqqa est réalisée en coordination avec les Etats-Unis et l'EI. En revanche, les FDS ne coordonnent jamais leurs actions avec l'armée syrienne. Selon les Etats-Unis, les FDS aideraient à créer des zones de sécurité et des zones tampon. Mais en réalité les FDS coupent la Syrie de ses voisins.
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Raqqa et Al-Tanaf :
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Et la coalition internationale pro-islamique a également frappé des forces pro-régime près d'Al-Tanaf, non loin des frontières irakienne et jordanienne. Pourquoi ? Parce que les forces de Bachar al-Assad progressent désormais dans cette direction, après avoir remporté une série de victoires sur les islamistes à l'ouest.
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Et les forces pro-régimes étaient déjà bien avancées dans le pays lorsque la coalition a déclenché son bombardement à Al-Tanf. Que ce soit à Raqqa ou à Al-Tanaf, la coalition internationale pro-islamique et les FDS ne visent pas simplement à éradiquer l'Etat Islamique (EI).
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Elles visent aussi à torpiller, à chaque fois, les victoires des forces de Bachar al-Assad contre l'EI. L'Occident veut donc - bel et bien - remplacer les islamistes de l'EI par d'autres islamistes, comme nous l'avons écrit dès le début du "conflit syrien" en 2011. Et Donald Trump ne semble pas, du moins pas pour l'instant,  pouvoir ou vouloir, modifier cet état de choses.
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Qatar et Arabie saoudite - Suite et fin :
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Pour revenir au Qatar et à l'Arabie saoudite, l'excellent géopoliticien Alexandre Del Valle, explique tout cela comme ceci, dans une analyse publiée le vendredi 9 juin 2017 (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : "Arabie saoudite versus Qatar : quand le Tigre critique les griffes du Chaton. En rompant brutalement avec le Qatar, l’Arabie saoudite fait d’une pierre deux coups : elle se fait passer pour un allié fiable dans la lutte antiterroriste et anti-islamiste -- ce qui est en soi ubuesque et digne d’une l’intox soviétique -- et elle envoie un message au Qatar afin de le contraindre à rompre avec l’Iran et les Frères musulmans".
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Alexandre Del Valle : "En fait, on reproche non pas au Qatar de soutenir en soi des terroristes, puisque les Saoudiens les battent de très loin dans ce sport depuis des décennies, mais de soutenir certains terroristes frères musulmans actifs en Egypte et à Gaza, et d’une manière générale, la Confrérie des Frères musulmans, bêtes-noires des Saoudiens, des Emiratis et de l’Egypte".
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Alexandre Del Valle : "Non pas en raison de leur idéologie sunnite-islamiste, mais parce que la Confrérie inspire les seuls partis politiques islamistes 'démocratiques' capables de mobiliser les masses et de gagner des élections, donc de renverser les dictatures militaires ou tribalo-monarchistes en place dans le monde arabe et qui ont été très secouées par les révolutions arabes, elles-mêmes récupérées par les Frères musulmans".
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Alexandre Del Valle : "Le Qatar, bien que sunnite-wahhabite comme les Saoudiens, est accusé d’entretenir de trop bons rapports avec l’Iran et donc l’Axe chiite (Hezbollah inclus)", précise Alexandre Del Valle (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Michel Garroté pour Les Observateurs
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http://www.atlantico.fr/rdv/geopolitico-scanner/arabie-saoudite-versus-qatar-quand-tigre-critique-griffes-chaton-alexandre-del-valle-3075161.html
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