Education: une révolution post moderne silencieuse en marche

Stevan Miljevic
Enseignant

L’acharnement des décideurs scolaires à défendre contre vents et marées les pédagogies constructivistes a de quoi laisser pantois. Disons carrément qu’elle ne s’explique pas tant qu’on reste dans une optique humaniste. Il n’est en effet pas possible de continuer à promouvoir rationnellement des méthodes d’enseignement et d’apprentissage dont les sciences de l’éducation ont définitivement prouvé l’inanité que cela soit par le biais des tests empiriques réalisés ou par les apports de la psychologie cognitive, voir même des neurosciences. Tout concorde à démonter que les approches constructivistes, qu’elles soient basées sur la découverte, le projet ou autre approche par compétence, ne valent pas grand chose en terme d’efficacité et que le fonctionnement du cerveau humain n’est guère adapté à ces manières de faire.

 Mais, peut-être n’est-ce pas là la bonne question. D’ailleurs, lorsqu’on leur fait remarquer à quel point leurs pratiques sont peu efficientes au regard des résultats de l’unanimité des innombrables études menées sur le terrain, les constructivistes rétorquent que les tests ne sont pas valides, qu’ils ne mesurent pas ce qu’eux veulent travailler réellement. Sans, bien entendu, jamais préciser exactement ce sur quoi portent leurs efforts. Et si cela était exact ? Si effectivement les intentions constructivistes ne portaient qu’accessoirement sur l’acquisition des savoirs scolaires ? Mon hypothèse est que, loin de chercher à offrir aux élèves le meilleur bagage pour se développer et s’insérer dans la société qui est la nôtre, le constructivisme éducatif est plutôt une tentative de changer la société, de fomenter une sorte de révolution silencieuse. Il ne s’agirait pas d’un précédent : nombreuses déjà furent les tentatives de faire évoluer la société dans le sens de l’idéologie par le biais de l’école. Qu’on pense au marxisme soviétique[1] ou même au fascisme mussolinien[2]. Se servir de l’école comme d’un levier pour activer une révolution n’a rien de bien original.

 La révolution amorcée en question est d’essence post-moderne. Elle se construit sur la base des écrits des penseurs de ce courant de pensée (qu’on appelle également occasionnellement constructivistes, étonnant non ?).

 Feyerabend et la destitution de la raison et du savoir scientifique

 Paul Feyerabend fut un des précurseurs de la post-modernité. Son travail a consisté, entre autre, à déconstruire et donc déconsidérer la science. Dans son optique, celle-ci n’est rien d’autre qu’une forme de superstition comme une autre. D’ailleurs, il préconise que les directions dans lesquelles doivent s’orienter les recherches scientifiques soient déterminées par des votations populaires. Plus encore, les conclusions de ces mêmes études doivent elles aussi être déterminées par les citoyens. Autrement dit, dans son optique, la science et la raison sont totalement déconsidérées et leur rationalité niée. Feyerabend va jusqu’à dire que personne ne doit être obligé de croire ce qu’elles nous disent.

 Il n’est pas difficile de faire le lien entre ce mode de pensée et le mode de fonctionnement de l’école constructiviste actuelle puisque celle-ci, sous prétexte de motiver les élèves, prône des approches où les élèves peuvent choisir eux-mêmes leur objet d’étude (le citoyen qui détermine l’orientation des recherches scientifiques). De plus, on se targue de faire travailler les élèves à la manière des experts (qu’on pense aux démarches historiennes par exemple). L’idée sous-jacente à ce fonctionnement est que tout le monde peut faire ce travail et que donc l’expertise n’est pas nécessaire pour produire de la connaissance. Autrement dit, la population devient celle qui fait œuvre de science et en valide les conclusions. Cette vision est également celle que défend, à sa manière, Derrida, autre penseur de la post-modernité selon qui le sens d’un texte est forcément relatif.

 Cette relativisation du savoir et du travail d’expert se retrouve également dans le développement de la transversalité, de l’interdisciplinarité et de l’entrée par le complexe à l’école: alors que toute la science moderne s’est développée sur l’idée du découpage du complexe en une somme de différentes parties plus simples à appréhender, l’école constructiviste, elle, en appelle à une approche globale qui croit possible de se mouvoir dans les ensembles complexes et transdisciplinaire sans dégâts. Ce que même des experts ne font qu’avec beaucoup de précaution et après avoir emmagasiné une quantité colossale de savoir, l’école constructiviste le donne à exécuter à des élèves !

 Irrationalité, émotivité et relativisme à gogo

 Conséquence directe de ce mode de fonctionnement, l’acquisition des connaissances développées par les experts n’a plus grande importance. De manière plus globale, il n’est plus question d’acquérir une culture générale afin de mieux pouvoir se mouvoir dans la société comme c’était le cas dans le cadre de la culture humaniste. Etre capable de comprendre le monde sur des bases rationnelles et scientifiques n’est plus à l’ordre du jour. On retrouve d’ailleurs cette même attaque frontale contre la raison dans les œuvres du sociologue Michel Maffesoli qui voit se développer une société irrationnelle et émotive plutôt que raisonnable.

 Outre ce premier assaut, on trouve également chez le sociologue français l’idée que la morale classique se délite et laisse place à un relativisme généralisé. A ce sujet, le constructivisme éducatif contribue lui aussi à saper l’existence de l’éthique et ce sous au moins deux aspects.

 Le premier, aisément identifiable, se loge, par exemple, dans les excès que certains tentent d’ajouter aux cours d’éducation sexuelle. Faire la promotion de la théorie du genre, user de sexes en peluche dans des cours destinés aux tout petits ou d’extraits de films pornos comme certains le préconisent s’inscrit totalement dans cette lignée de relativisme moral absolu. Fait remarquable, ces tentatives de passage en force ne proviennent pas d’acteurs étrangers à l’institution scolaires mais bien des centres en charge de la pédagogie et qui font la promotion la plus forcenée du constructivisme (pensons par exemple à la HEP lucernoise et à son centre de compétence pour l’éducation sexuelle fort heureusement fermé à ce jour).

 Le deuxième aspect, plus insidieux, ne se loge pas dans les contenus mais dans les manières de travailler en classe. Dès lors que les élèves construisent eux-mêmes leur propres connaissances, la porte est grande ouverte au relativisme. Puisque, comme on l’a déjà montré, il n’est plus question d’enseigner des connaissances scientifiques mais bien de faire travailler les élèves à la manière des experts, alors nécessairement de nombreuses conceptions différentes peuvent émerger. Puisque selon cette manière de voir les choses, elles se valent à peu près toutes, il n’y a aucune raison que cette relativisation du savoir ne déteigne pas dans d’autres domaines. Après tout, si la science n’est pas quelque chose à quoi on peut se fier et que chacun peut faire la sienne, il n’y a pas de raison qu’un sujet comme la morale y fasse exception. Ce d’autant plus que celle-ci découle notamment de la raison.

 Le retour au tribalisme pré-civilisationnel

 Un troisième élément clé de la pensée post-moderne trouve son expression dans la reconfiguration de la personnalité et des appartenances sociétales. Maffesoli voit l’établissement de nouvelles communautés, des tribus post modernes ayant chacune l’équivalent de leur totem en lieu et place des appartenances traditionnelles (pays, famille…) : certaines ne jurent que par telle marque (les conducteurs de coccinelle, les utilisateurs d’Apple …) alors que d’autres se rattachent à tel style musical (les gothiques, les rappeurs etc.), à certaines pratiques sportives (skateurs, snowboarders …) voir à tout autre type de totem (sexualité, gangs…). Cette évolution a pour conséquence, en plus de l’effondrement des loyautés traditionnelles, le déclin de l’individualité : la personne passant désormais au second plan et se dévouant corps et âme si j’ose dire au groupe.

 Là aussi, le lien avec les pratiques scolaires est flagrant : la déconsidération de la culture classique sur laquelle se fonde les appartenances traditionnelles (histoire, géographie etc.) sape les fondements organisationnels de la société. Ce d’autant plus vu le peu de considération apporté à l’efficacité avec laquelle les derniers vestiges de connaissances sont transmis. A côté de cela, la promotion acharnée de travaux de groupe (communauté) au détriment du groupe-classe (population totale) rend les jeunes ultra-dépendants les uns des autres. De plus, au sein de certains groupes s’exerce une division du travail : chacun n’en réalise qu’une partie et seul le groupe a une vision complète et globale, ce qui amène certain à parler du développement d’une intelligence collective. Tout cela, au final, ne peut que mener à l’effacement des individualités pour laisser émerger des entités collectives fortes, véritable tremplin pour une tribalisation de la société.

 Le contenant plutôt que le contenu

 La quatrième pierre posée à l’édifice de la post-modernité trouve son expression dans la pensée de Marshall McLuhan, celui-là même à qui on doit l’expression de « village global » ou de « village planétaire ». McLuhan est également très connu pour sa phrase « The medium is the message ». Autrement dit, il affirme la prééminence du contenant sur le contenu. Ici également, la pensée éducative constructiviste ne dit pas autre chose. Qu’on observe les plans d’étude plus prompts à imposer la manière de travailler plutôt que le contenu à enseigner, l’hystérie à vouloir utiliser les nouvelles technologies à toutes les sauces sans même réfléchir un instant à leur pertinence ou l’obstination à promouvoir des méthodes constructivistes inefficaces (contenant) au mépris de la médiocrité des résultats obtenus (contenu). Tout concourt à montrer que l’école constructiviste fait primer le medium sur le message.

 Une révolution volontaire ?

 Ces quelques éléments tendent, à mon sens, à appuyer l’hypothèse selon laquelle une révolution post moderne silencieuse est à l’œuvre dans les écoles. Bien sûr, la question mériterait d’être, affinée, traitée plus en profondeur. En attendant, elle colle assez bien à la réalité éducative telle que la prônent certains.

 Reste également à définir si cette orientation radicale de l’école est le fruit d’un travail mûrement réfléchi, d’une intention délibérée de faire glisser la société dans le paradigme post-moderne ou s’il s’agit simplement de la conséquence d’une intoxication idéologique post moderne généralisée de ceux qui donnent le la éducatif et qui ne verraient plus la différence entre le réel tel qu'il est et tel que leur idéologie le leur fait voir. La nuance est de taille, mais dans les deux cas, le constat est le même, l’école constructiviste n’est pas au service des individus qui la fréquentent mais bien plutôt à celui d’une dangereuse idéologie révolutionnaire dont pratiquement personne ne veut.

Stevan Miljevic, le 30 juillet 2015

NB: Les grandes lignes de la pensée post moderne décrite dans cette articles ont été tirées de l'ouvrage de Jean Staune "Les Clés du Futur, Réinventer ensemble la société, l'économie et la science", Plon, Paris, 2015 pp.322 à 336

[1] http://www.lesobservateurs.ch/2014/09/14/heures-gloire-du-constructivisme-educatif-lurss-annees-20/

[2] J’ai déjà écrit un texte à ce sujet qui n’est actuellement plus en ligne mais qui, au besoin, pourrait refaire surface

2 commentaires

  1. Posté par Pierre H. le

    @c dans l’air : « Actuellement au nom de l’égalité, nous lissons tout par le bas et formons les cancres de demain.
    C’est fait délibérément pour avoir des abrutis qui croient que les Iphones tombent du ciel et des élites qui savent que les abrutis sont trop bêtes pour se poser des questions sur les manipulations dont ils sont l’objet et qui croiront tous leurs mensonges…

  2. Posté par c dans l'air le

    L’école de nos parents été bien meilleure que celle d’aujourd’hui. Les matières enseignées étaient bien plus intéressantes, utiles et nous permettaient de faire face dans la vie. Actuellement au nom de l’égalité, nous lissons tout par le bas et formons les cancres de demain. Le programme scolaire de nos jours est des plus déplorable et les matières enseignées sont d’un pitoyable niveau et dans la plupart des cas non suivies. Au nom de l’évolution de la société et de l’aveuglement de vouloir s’aligner sur elle conduit à la médiocrité.

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