Fin de la neutralité du Net: Catastrophe ou libération?

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Depuis jeudi et sous l'impulsion de Donald Trump, la FCC, l'autorité de régulation américaine des communications, a validé par un vote (3 voix contre 2) le démantèlement des lois passées sous l'administration Obama et connues du grand public sous le nom de "Neutralité du Net". Est-ce une catastrophe ou une libération? Se pourrait-il que le Président américain soit allé trop loin dans sa volonté de détricoter l'héritage Obama? Ou est-ce une bonne chose pour Internet en général et les États-Unis en particulier?

Chacun sera seul juge ; mais pour avoir la moindre chance de comprendre, il faut rester éloigné de la presse francophone dont la superficialité et le biais anti-Trump pèsent lourdement sur la moindre analyse.

Neutralité du Net et Neutralité du Net

La neutralité du Net est un concept quelque peu confus parce qu'il signifie en pratique des choses différentes. À la base, la "Neutralité du Net" est l'idée selon laquelle chaque parcelle d'information venue d'Internet est un ensemble de 0 et de 1, peu importe qu'ils viennent d'une série sous Netflix, de la lecture de ce blog, ou d'un email ; et qu'au bout du compte, tous ces 0 et ces 1 doivent être traités de la même manière.

En d'autres termes, aucun fournisseur d'accès Internet (FAI) ne devrait être capable de vous interdire d'accéder à un quelconque site, ou au contraire d'accélérer votre accès à d'autres sites, puisque ce sont toujours des paquets d'information de même nature.

Notons que l'idée de rejeter des vitesses d'accès différente est discutable, car tous les flux informatiques n'ont pas la même importance. Le flux vidéo d'un chirurgien en train d'opérer un patient à distance est sans doute plus important que le flux d'interactions de votre partie de Call of Duty, qui sont eux-mêmes plus importants que l'arrivée sur votre ordinateur du énième patch de Windows, ou la synchronisation dans le Cloud des photos du remariage de Tante Huguette.

En réalité, à cause du concept de Neutralité du Net, la non-différentiation du trafic internet est une cause de congestion du réseau.

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La séparation entre paquets lents et paquets prioritaires permet de renforcer l'efficacité d'une infrastructure sans augmenter sa capacité globale. Les organismes chargés de gérer le trafic routier le savent bien.

La différentiation du trafic est un débat ouvert, avec ses partisans et ses adversaires. Mais on trouvera bien moins de gens pour défendre l'idée que les FAI puissent ralentir ou barrer l'accès de certains sites. Et cela tombe bien puisque la Neutralité du Net qui vient d'être démantelée n'a pas exactement la signification que le grand public lui prête, comme nous le verrons.

La Neutralité du Net, dans la décision qui vient d'être prise par la FCC, concerne la catégorisation des Services Internet comme des services de "Titre II" selon la législation américaine, c'est-à-dire leur définition comme services publics au même titre que l'accès à l'eau ou l'électricité.

Confusion et Politisation

Avant d'entrer plus en détail sur ce qui vient de se passer jeudi, mentionnons encore deux aspects singuliers du débat, mais qui ont leur importance:

  • La "Neutralité du Net" dont il est question est une réglementation passée en 2015 à l'instigation de l'administration Obama. Autant dire hier. Internet, Google, Amazon, Wikipédia et bien d'autres ont existé et gagné leurs galons bien avant la législation sur la Neutralité du Net, et même avant la première élection d'Obama.
  • La plupart des acteurs en faveur de la "Neutralité du Net" sont des sites comme Twitter, Google, Facebook, Reddit, qui ont tous montré à de nombreuses reprise leur orientation politique de gauche, leur opposition résolue à l'administration Trump, et qui n'ont pas hésité et n'hésitent toujours pas à censurer le contenu de leurs propres utilisateurs dès lors qu'il ne convient pas à l'orientation politique de leur plateforme.

Comme le résume un créateur de contenu:

"Si vous avez le malheur d'exprimer un point de vue de droite, Google repousse votre apparition à la dixième page des résultats de recherche, YouTube vous coupe vos revenus publicitaires ou supprime vos vidéos, Twitter ferme votre compte, et Facebook censure vos publications de sorte qu'elles n'apparaissent jamais dans le flux d'actualités."

usa,donald trump,internet,réformeIl y a donc anguille sous roche.

L'explication remonte à 2010. Avant cette date, la FCC classait les FAI sous le Titre I du Telecommunication Act du Président Clinton, signifiant qu'elle agissait comme entités privées avec un minimum de régulation de la part du gouvernement. Séparément et sans rapport avec cette classification, la FCC considérait les FAI comme responsables du respect des règles de l'Internet Ouvert (pas de débit variable selon le type de données, pas de blocage de site, pas de navigation prioritaire contre paiement).

Le procès Verizon contre la FCC changea cela, précisant que si la FCC souhaitait faire respecter les règles de l'Internet Ouvert, elle devrait désormais classer les FAI sous le Titre II, soit des fournisseurs de services publics, opérant effectivement sous le contrôle d'un monopole d'État. Le changement le plus radical concernant de fait l'apparition d'une licence de diffusion, donnant pouvoir au gouvernement sur eux. La lutte fut épique sur le dossier entre les fournisseurs d'accès, les lobbies et les politiciens ; mais quoi qu'il se passe en coulisse, les globalistes marquèrent un point essentiel puisqu'ils obligèrent désormais les FAI à s'inscrire pour bénéficier d'une licence de diffusion, et à la renouveler régulièrement. Sans licence de diffusion, un FAI était instantanément condamné à la banqueroute.

Obama fut un acteur essentiel de cette transformation, faisant pression sur les trois juges - deux démocrates et un républicain - pour classer les FAI sous le Titre II et donner ainsi le contrôle d'Internet au gouvernement. Cette prise de contrôle aurait pu être mal prise par l'opinion, elle fut donc rebaptisée "Neutralité du Net" et vendue ainsi emballée aux médias. La nouvelle formule passa comme une lettre à la poste!

Big Brother se réveille

Le gouvernement avait donc un pied dans la porte pour le contrôle des FAI grâce au renouvellement de leur licence, mais l'administration Obama n'avait pas encore les moyens légaux de justifier un non-renouvellement de ladite licence.

Cette base légale se concrétisa à travers le Countering Information Warfare Act de 2016. L'Acte donnait lieu à la création d'un "centre inter-agence", basé à la Maison Blanche, dont le chef était directement nommé par le Président (p. 1399), et dont l'intitulé de mission était de "Maintenir, collecter, utiliser et disséminer des enregistrements pour la collecte et l'analyse de donnée liées à des efforts de désinformation étatique et non-étatique et de propagande étrangère". Non-étatique signifie ici: à l'échelle des entreprises, des sites web, et même des individus.

Avec le Countering Information Warfare Act de 2016, n'importe qui pouvait être désormais coupable de "propagande" ou de "désinformation", une accusation d'autant plus facile à formuler que la signification de ces termes étaient laissés à l'appréciation de l'Administration.

Le Countering Information Warfare Act ne donna pas lieu à un débat par le Congrès. À la place, il fut subrepticement glissé dans les 3'000 et quelques pages du National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2017, un texte voté la veille de Noël 2016 par des élus dont aucun ne se donna la peine de le lire. La création du Global Engagement Center est pourtant bien là-dedans, avec des détails opérationnels comme:

"Identifier les tendances actuelles et émergentes de propagande et de désinformation étrangère (...) et permettre l'utilisation d'agents infiltrés ou d'opérations clandestines spéciales pour influencer et cibler des populations et des gouvernements, pour coordonner et élaborer des tactiques, techniques et procédures pour exposer et réfuter la désinformation et l'information mensongère étrangère (...)"

"La législation établit un fonds pour aider à la formation des journalistes locaux (...)"

"Le Centre développera, intégrera et synchronisera des initiatives gouvernementales globales pour exposer et contrer les opérations de désinformation étrangères (...)"

Et ainsi de suite sur des pages et des pages.

L'Administration Obama visait également à mettre en place des "groupes d'experts" extérieurs au gouvernement, comme des ONG, des organisations de la société civile, des laboratoires d'idées, des compagnies du secteur privé et ainsi de suite, pour détecter et classifier l'information comme "trompeuse".

Vous rappelez-vous du fameux Décodex du Monde? Des associations diverses et variées lançant des procédures pour une remarque jugée litigieuse sur Facebook? Les personnes condamnées en Suisse pour un like? Voilà, en pratique, vers quoi menait l'arbitrage par ces "tierces parties indépendantes".

La boucle est bouclée

En quelques étapes et quelques années, l'Administration Obama mit en branle une mainmise totale d'Internet par le gouvernement américain, sur le territoire des États-Unis.

Bombardé par le flot de fausses nouvelles débordant sur le Net, le grand public aurait progressivement adopté le terme de "fake news" et l'idée de "tiers de confiance" chargés de vérifier la véracité de l'information. Ces tiers de confiance, sans lien apparent avec le gouvernement, auraient formulé des jugements de valeur sur de prétendues "fake news" soigneusement sélectionnées, permettant ensuite à l'administration de faire pression sur les Fournisseurs d'Accès Internet qui transmettaient ces informations par leur réseau, et qui seraient devenus complices simplement en les faisant transiter par leurs infrastructures.

Les FAI auraient eu ensuite deux choix: soit couper le sifflet aux sites "déplaisant" pour les élites en place - Drudge Report, Breitbart, 4chan, Wikileaks, etc. dans le monde anglophone - soit perdre leur licence, auquel cas ils auraient instantanément été conduits à la faillite alors que leur infrastructure aurait été rachetées à vil prix par le gouvernement ou leurs concurrents. Les FAI auraient évidemment obtempéré et une partie de la toile aurait tout simplement disparu.

Et tout cela au nom de la Neutralité du Net!

Tous les scandales visant Hillary Clinton et révélés par Internet auraient-ils pu voir le jour sous ce régime?

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Les partisans de la loi Obama sur la Neutralité du Net s'inquiètent d'un monde où les FAI pourraient arbitrairement supprimer l'accès à des sites web, alors qu'en réalité cette loi permet exactement ce résultat... Sur décision de l'Administration.

Conclusion

Toute cette histoire est 100% authentique - il suffit de suivre les liens vers les divers textes légaux et projets de loi qui émaillent ce billet. Mais comme dans bien d'autres dossier, l'élection surprise de Donald Trump bouleversa les plans établis par la bureaucratie démocrate.

Notons que Trump n'aurait eu aucun mal à préserver les directives mises en place par son prédécesseur et les employer à son propre avantage, éliminant progressivement CNN et d'autres canaux du paysage d'Internet suite à leurs mensonges répétés, souvent pris la main dans le sac. Mais, et c'est tout à son honneur, il choisit plutôt de désamorcer la bombe et de l'envoyer à la poubelle.

Il n'y aura pas de Global Engagement Center chargé de faire la guerre de l'information au nom du gouvernement américain sur Internet. Il n'y aura plus de menaces de retrait de licence des opérateurs pour qu'ils éliminent de leur offre les sites présentant une opinion dissidente du pouvoir. Et il n'y aura plus ces taxes que l'Administration prélevait sur le moindre abonnement Internet, les services publics étant plus taxés que les entreprises privées.

Internet ne sera pas "neutre", quoi que ce terme puisse signifier pour chacun, mais il restera peut-être libre un peu plus longtemps.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 16 décembre 2017

3 commentaires

  1. Posté par poulbot le

    De toute façon la neutralité d’internet n’a jamais vraiment existé puisque certaines positions politique, d’idées n’ont jamais pus être visibles car systématiquement censurées car contraires a une certaine morale puritaine des fai ou sites.

  2. Posté par barakat le

    C’est me semble-t-il une forme de privatisation de l’accès à Internet après sa nationalisation durant la période Obama.
    Espérons maintenant que des trusts, monopoles, groupes aux positions dominantes, voire des
    collusions n’empêchent une saine diversification de ce marché particulier et stratégique.

  3. Posté par Hervé le

    Le plus désespérant dans l’histoire, c’est de lire les sites tech, dits spécialisés, n’avoir qu’une lecture superficielle des conséquences pratiques de la législation. Que le 20min n’y comprenne rien, on s’y fait, mais les gens qui gagnent leur vie en expliquant la technologie nous dire que Netflix pourrait devenir plus lent… Pathétique. Privilégier un acteur face à son concurrent continuera d’être illégal, c’est les lois sur la concurrence qui gèrent ça.
    Fun fact: Depuis l’introduction de cette législation en 2015, les opérateurs majeurs américains ont drastiquement réduit leurs investissements dans le déploiement des réseaux dans les zones mal desservies… Voilà comment ils ont détruit les petits acteurs locaux, implacables de générer des bénéfices suffisants à cause des coûts prohibitifs des données mobiles.

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